Aprueba


malecón
Pliego solidaridad nº 3
Marzo - octubre 2020
Santiago Valparaíso Barcelona
Contribuciones:
Javier Marticorena
Palito Wood
Manuel Sanfuentes
Luis Romanque
Valérie Denis

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Chile despertó
Valérie Denis

Je traverse la ville à pas de chat errant, le long des murs colorés de colère. Je vois les mots, les maux d'un peuple blessé. J'erre dans les rues de Santiago, à la recherche des messages de sagesse citoyenne. Je ressens les maux au-delà des mots. Les mots viennent chambouler mon imaginaire européen. Il y a des cris, de la tendresse, de la rage sur les murs de Santiago de Chile. Il y a de l'amour aussi. ¡Chile despertó! J'entends le choeur des hommes en colère. Au loin et si près, les braseros s'enflamment et les coeurs rougissent. Les cris résonnent dans ma tête.  ¡Paco asesino! De quoi sera fait demain?, je m'interroge. Je me dis que l'avenir des peuples se noue dans la trame de ces mots. Clamés, gravés, vaporisés. De ces mots surgira notre destin commun. L'Europe est loin de moi mais je me sens proche du fracas. Je marche dans la ville, sans but. Je suis le Mapuche, le peuple abandonné, le naufragé africain, l'Européen résigné. Je suis tout le monde à la fois, meurtri par le corps des Grands. Les mots me poursuivent, les mots m'accaparent. Le monde est en devenir. Il prépare son avenir sur le sol poussiéreux du néolibéralisme. Il est temps de vivre et de s'enivrer d'humanité. Je tourne la page d'un livre imaginaire. Mes pensées s'ornent de nouveaux contours. La joie surgit dans mon coeur. Je rentre à la maison et j'écrirai les mots. Clamés. Gravés. Vaporisés... Des murs au béton des avenues.
Humanité. Liberté. Solidarité. J'écrirai vos noms sur les sols de nos luttes. Il est temps. Le moment est venu de se lever sur l'autre versant du monde.

¡Paco  asesino! ¡Paco  asesino!... Gritando, mis sueños. Gritando, la calle. Gritando, las murallas. La rue crie. Elle est rouge de colère. La rue est en feu. La rue clame la colère et la souffrance populaire. Je rentre chez moi, dans ma terre natale. Le ciel est gris; les visages, sérieux ou déprimés. La colère a perdu cette rougeur des rues en lutte. Il y a un air de cimetière qui plane sur Bruxelles. Un air de trop. Un air de rien. Bruxelles étouffe sous les gaz automobiles. Bruxelles s'anesthésie sous le joug de la Vieille Europe. Bruxelles calcinée par la convoîtise des grands, des corrompus, des exploiteurs. Bruxelles, la belle aux ciels magrittiens. Bruxelles-Capitale. Quand te réveilleras-tu, Bruxelles?
Je rentre chez moi, dans ma terre natale. Saine. Sauve. Emplie d'un ailleurs d'espérance.
Les cris de la colère résonnent en moi, comme une ritournelle.
Un jour d'octobre 2019, la radio a dit: "Le Chili s'est réveillé!". Réveil citoyen d'un peuple oppressé, pressé, trituré, abîmé, crucifié sur l'autel du néolibéralisme. ¡No! ¡Basta! Le peuple a clamé son refus face à l'augmentation du prix du ticket de métro... Et la rue s'est embrasée. Un réveil du bout du monde, là où l'Océan Pacifique se lie d'amitié avec l'Antarctique. Au fin fond de l'hémisphère sud, on a dit "non" à un système qui nous oppresse tous! On y lit les prémices d'une révolution civilisationnelle, post-industrielle. On y lit l'Espoir.
¡Chile despertó! Le slogan s'est affiché sur tous les murs de Santiago. Comment ne pas accueillir cette parole d'une brûlante nécessité ? Comment ne pas voir dans cet élan citoyen un changement de cycle pour la planète? Le Chili, laboratoire des stratégies néolibérales, a pris la rue. On y clame le destin d'un peuple, les violences subies, l'oppression des grands sur les plus vulnérables. On exhorte au changement. Face aux enjeux sociaux, climatiques, éducationnels, sanitaires, le Chili a pris position pour avancer vers une autre organisation sociétale. Il est temps de se réveiller. Partout le monde se doit de tourner la page pour sauver sa peau. Partout. Même à Bruxelles où l'apathie règne. Partout la rue se doit de clamer sa souffrance, son désespoir face aux dérèglements de notre système écologique, son refus d'être exploité et de vivre sans sécurité ni avenir.

Comment pourrais-je t'aimer, cher plat pays, si tu restes inerte? L'avenir est ailleurs et non pas dans la restriction des libertés et dans le détricotage des filets de sécurité sociale. Le monde doit tisser, relier, inventer de nouveaux échanges sociaux. Les filets encore présents en sont les matrices essentielles. Il va falloir de la solidarité, de l'amour, de la fraternité pour que les hommes se ré-unissent. Et c'est précisément dans l'équation Homme-Nature que s'esquisse notre avenir à tous. Loin des marchés boursiers, loin du consumérisme et des économies spéculatives. Notre rapport à la Nature, à l'Autre, va nous permettre de construire un avenir soutenable écologiquement. Seule la sobriété pourra sauver le vivant. La sobriété de production et de consommation. Vivre autre-ment dans un esprit de coexistence est la seule voie possible pour voir fleurir les lendemains. Je rêve de ce monde autrement plus sain, autrement plus juste, autrement plus respectueux du vivant. Je songe à cet instant où tous les peuples pourront communiquer entre eux sans arrière-pensées consuméristes. Ce grand "Demain" où l'Homme et la Nature se caresseront à nouveau. La société actuelle a injecté dans nos veines un virus d'envie et de pouvoir. On veut toujours plus. On veut devenir, à chaque fois, plus puissant.

Virus planétaire. Virus de la Haine. Virus de l'Argent. Virus de la Domination. Virus. Oui, ce virus Covid-19 qui est en train d'isoler les pays et les hommes est un signe parmi d'autres que la globalisation intensive telle que pratiquée jusqu'à présent est une menace pour nous tous. En craignant une contamination massive, le monde est en train de vaporiser l'espoir mis dans la Mondialisation, cette voie de la sagesse et de la prospérité sanctifiée par le néolibéralisme. On en est à craindre des pertes humaines parce que le monde a joué à la roulette russe. Face à cette situation absurde, le réveil citoyen prend des allures de sauveteur. Il va falloir de la solidarité, de l'amour, de la fraternité pour fonder notre "autre" société. ¡Chile despertó! Il est temps de se mobiliser. Il est temps d'ouvrir son coeur. Il est temps de changer de chemin. Il est temps d'alléger nos consommations. L'heure est venue de nous défaire de nos modes de production délétères.

"Sans doute faut-il redessiner notre manière d'habiter le monde. On ne peut plus continuer sur la lancée actuelle, même en usant de prouesses technologiques. On ne peut plus autant se déplacer. On ne peut plus autant renouveler. On ne peut plus autant gaspiller. On ne peut plus autant tuer. Nous n'avons pas vraiment d'autre choix que d'accepter cette évidence."1 Les scientifiques prennent position, tirent la sonnette d'alarme. Astrophysicien, Aurélien Barrau prend la parole dans ce sens. Il est l'un des seuls à s'insurger contre la société de production actuelle. Ne pas entendre le message serait donc une manière de nous mener à notre perte. Une manière de nous autodétruire. Le réveil est nécessaire. Il doit être imminent. Nos années sont comptées. Dans cette perspective d'urgence, la mobilisation citoyenne doit s'inscrire dans nos agendas. Le Chili qui se réveille sur l'autre courbe du monde nous montre-t-il le champ de traverse à emprunter? Je le pense. Les mots clamés sur cette terre australe vibrent jusqu'à nous. On ressent leur justesse, leur sincérité, leur essentialité. Ces mots nous livrent des souffrances et les ombres d'un passé douloureux. Mais ce sont des éclats d'espoir qu'il est de notre devoir d'écouter et de chanter à notre tour. Le choeur des hommes en lutte a une saveur d'universalité que nous ne pouvons faire taire. Au coeur de nos vies confortables, se dresse la rugosité des lendemains incertains, des coups bas et des fracas sociaux. Les voies que nous avons parcourues nous ont conduits vers ce point de saturation d'où nous devons réinventer l'architecture de cet "autre" monde. La porte est ouverte, étroitement mais sûrement. A nous de la franchir avec fermeté. Réveillons-nous! Le bonheur est dans le champ de blé, dans les battements d'ailes, dans les mains qui se joignent, dans les yeux du colibri, dans la tendresse des coeurs. Le monde se réveille. Le Chili ouvre les voies d'un ailleurs prometteur. Nous marcherons tous vers cet espace rouge d'espoir, de souveraineté populaire et de justice écologique et sociale. Demain sera humain ou ne sera pas. Demain, le peuple souverain! Demain, je t'aime! Demain nous appartient.


La situación se torna delicada

Basta mirar el sol
a través de un vidrio ahumado
para ver que la cosa va mal;
¿o les parece a ustedes que va bien?

Yo propongo volver
a los coches tirados por caballos
al avión a vapor
a los televisores de piedra.

Los antiguos tenían razón:
Hay que volver a cocinar a leña.

       Nicanor Parra

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1.  In Le plus grand défi de l'histoire de l'humanité. Face à la catastrophe écologique et sociale, p 47. BARRAU, Aurélien. Editions Michel Lafon, mai 2019.


En marcha
Javier Marticorena

Plaza de la Dignidad (fragmento)
Palito Wood

Armando Uribe 1933-2020
Luis Romanque


Mark